Une vie en boucle
- anne
- 27 nov. 2021
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Rainette vivait paisible dans sa mare, à l’abri des regards. Elle barbotait avec délice au milieu des nénuphars. Le soir venu, elle coassait, solitaire mais satisfaite de son sort. Elle avait tout ce qu’il fallait pour son bonheur : une gouille suffisamment grande pour l’appeler étang, des insectes à profusion et des recoins pour se cacher des grands hérons voraces. Elle nageait du matin au crépuscule, alignant les longueurs de brasse.
- Côa ! Côa ! N’as-tu pas l’impression de tourner en rond ? l’interpella un jour un crapaud qui plongea dans un grand plouf, troublant sans vergogne sa quiétude.
Rainette rejoignit précipitamment la terre ferme, se réfugiant sous un gros galet plat.
- Qui es-tu pour t’inviter chez moi sans y avoir été convié ? s’indigna la grenouille.
- Côa ! Côa ! Pardon, jolie dame ! Je ne voulais pas t’effrayer, je ne suis que de passage. Je suis en route pour regagner les eaux libres du lac.
Piquée par la curiosité, elle sautilla jusqu’à la rive pour mieux observer l’intrus. Brun, gras et couvert de verrues, il était plutôt laid.
- Et que vas-tu y faire ? coassa-t-elle.
- Côa ! Côa ! J’y retourne après m’être rendu aux mares de reproduction. Il est plus que temps pour moi de retrouver les grands espaces.
Rainette n’en croyait pas ses oreilles. Le lac était si vaste et tellement dangereux. Les roseaux qui le bordaient étaient remplis de prédateurs. Comment pouvait-on vouloir vivre dans un tel endroit ?
- Mais, tu risques de te faire avaler par un brochet ou une mouette. Pourquoi ne pas te trouver une petite flaque bien tranquille ?
- Côa ! Côa ! lança-t-il d’une voix rauque. Comme toi ? Nager un jour dans un sens, le lendemain dans l’autre… Merci, sans façon ! Une vie sans surprise est une vie sans saveur.
- Mais ici je me sens en sécurité ! protesta-t-elle.
Le crapaud gonfla ses joues et regarda le minuscule plan d’eau d’un œil critique.
- Y as-tu seulement déjà pondu des œufs ?
Confuse, Rainette se cacha les yeux avec ses longs doigts palmés. Puis elle trembla en imaginant tous les risques qu’il avait pris pour aller à la zone de ponte.
- Le lac est bien loin et tu préfères quand même y retourner ?
- Côa ! Côa ! fit-il en sautant à ses côtés. Au lac, l’horizon est sans limites. Je préfère cela à une vie en boucle. Tourner en rond ne permet aucune rencontre et ne fait pas avancer !
Sur ces paroles, il la salua d’un coassement si fort que les feuillages alentours en tremblèrent et que les insectes cessèrent de bourdonner, puis il s’en alla bondissant, laissant Rainette à sa solitude. Songeuse, la petite grenouille verte reprit ses rondes et ses cercles, se disant que ce crapaud voyageur avait décidément de drôles d’idées.
Anne, le 29 juin 2020
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