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ROMANS

Extraits

Le Passage des Temps Anciens

Les forteresses du gué

Chapitre 1

Toute la journée, ses sifflements d’oreilles l’avaient tourmentée. Malgré ses efforts pour les ignorer, rien n’y avait fait. Méline se décida à sortir pour s’aérer la tête bien que le temps fut lourd et orageux.

  Petite et fine, la jeune femme d’une vingtaine d’année avait un visage charmant éclairé par de superbes yeux d’un vert intense. Il était encadré de cheveux noirs et lisses s’arrêtant au-dessus des épaules.

  Elle emprunta la voiture de ses parents pour se rendre dans les bois de la Glâne où elle avait coutume de promener Titus, son fougueux labrador noir de deux ans. Parquant l’auto en lisière de forêt, elle gagna le chemin d’un pas vif, précédée du chien qui fourrageait avec bonheur dans les feuilles mortes.

  L’air ambiant devenait électrique. Des grondements se faisaient entendre au loin tandis que des nuages toujours plus noirs s’amoncelaient et obscurcissaient les sous-bois déjà baignés de pénombre. Le vent s’était levé mais son souffle chaud ne réussissait pas à atténuer la chaleur oppressante qui régnait depuis plusieurs jours.

  Méline n’en continua pas moins sa balade, uniquement préoccupée par ces pénibles chuintements qui allaient en s’accentuant. C’est alors que Titus disparut brusquement dans les fourrés. Comme il tardait à réapparaître, elle l’appela vainement avant d’entendre de furieux aboiements. Surprise par son comportement, Méline se résolut à le suivre dans les sous-bois. Elle eut du mal à le situer et continua à l’appeler avec insistance. Les jappements se firent plus forts. Elle dépassa un énorme chêne pour enfin se retrouver aux côtés de son chien apeuré et extrêmement agité.

  Titus faisait face à un phénomène surprenant. Une portion d’air ondulait, telle la surface d’un étang, et il en émanait un bourdonnement grave. Ne sachant pas si son audition lui jouait un mauvais tour, Méline réalisa que le bruit augmentait à l’approche de l’anomalie. Enjambant une branche, elle voulut attraper  Titus mais ne réussit qu’à l’effrayer davantage. Il bondit en avant et la jeune femme se précipita à suite. Le bourdonnement devint si puissant qu’elle en avait mal à la tête. Le son s’atténua lorsqu’elle s’éloigna de quelques pas, mais de violents tremblements les contraignirent, elle et Titus, à s’immobiliser.

  Après un instant, Méline put enlacer son chien pour le réconforter et il se calma un peu. Reprenant lentement ses esprits, elle pensa à un malaise provoqué par la chaleur oppressante et que tout ceci n’était dû qu’à un problème atmosphérique. Elle savait qu’avant de frapper, la foudre produisait un son particulier précédé d’une altération de l’air.

  Un peu nauséeuse, la jeune femme préféra rentrer. Elle fit demi-tour afin de rejoindre le chemin qu’elle venait de quitter mais s’arrêta presque aussitôt, désorientée. D’abord rendu méfiant par cette expérience déroutante, Titus retrouva sa nature enjouée et partit en humant l’air de tous côtés. Méline décida de lui faire confiance et le suivit.

  Ils marchèrent un certain temps et arrivèrent sur un petit sentier qu’elle ne reconnaissait pas. L’humeur de Méline s’assombrit, à l’image du ciel menaçant au-dessus de leurs têtes. Le vent avait forci, emportant quelques gouttes de pluie, et les roulements du tonnerre retentissaient toujours plus près. Elle pensa avec agacement à son téléphone portable oublié dans la voiture. Sa distraction lui jouait des tours, ce qui la mettait fréquemment dans l’embarras.

  Titus s’était éloigné avant de revenir vers sa maîtresse qui tardait à se décider. Finalement, elle choisit une direction au hasard. Cela les mènerait forcément quelque part. Pourtant, un sentiment de malaise l’envahit peu à peu. Les bois alentours étaient denses, la végétation avait un aspect sauvage, comme laissée à l’abandon.

  La pluie commença à tomber dru et l’orage éclata avec fureur. De puissants craquements précédaient les éclairs qui illuminaient le ciel. Le vent agitait les arbres dont les branches et les feuillages volaient de toute part.

  Méline se mit à courir, Titus sur ses talons. À son grand soulagement, ils arrivèrent sur un large chemin, promesse de retrouver bientôt la civilisation. Essayant de reconnaître l’endroit à travers le rideau de pluie, la jeune femme entendit un bruit sourd qui se rapprochait rapidement. Au moment où elle comprit qu’il ne s’agissait pas de l’orage, des cavaliers débouchèrent au grand galop de la courbe située au bout d’une longue ligne droite.

  Lors de ses fréquentes balades en forêt, il lui arrivait de croiser des cavaliers. Ceux-ci se déplaçaient tranquillement, toujours au pas. Jamais ils ne galopaient, ce qui s’avérait extrêmement dangereux. Elle attrapa Titus par le collier et recula vivement sur le bas-côté. Les chevaux ralentirent tout de même l’allure, permettant à Méline de mieux les observer.

  Perplexe, elle fronça les sourcils.

  Les bêtes étaient superbement harnachées alors que les hommes qui les chevauchaient arboraient des tenues tout droit sorties du Moyen-Âge. La jeune femme n’eut pas le temps de se poser plus de questions car ils arrivaient à sa hauteur et elle devait tenir fermement son chien afin qu’il n’aille pas se jeter dans les pattes des immenses chevaux noirs. Les cavaliers tirèrent sur les rênes de leurs montures qui piétinèrent devant elle.

  Grands et minces, les trois hommes avaient les visages à demi-masqués par les capuches de leurs capes qui dissimulaient en partie des vêtements de belle qualité. Les deux plus jeunes, qui devaient avoir le même âge que Méline, escortaient leur aîné d’une quarantaine d’années. Sous cette pluie battante, il était difficile de se faire une idée plus précise.

  Impressionnée par ce spectacle inhabituel, Méline commença à se sentir mal à l’aise devant ces hommes qui la dévisageaient de façon insistante. L’allure froide du plus âgé contrastait avec celle, plus aimable, des jeunes gens.

  Il s’adressa à elle d’un ton tranchant.

  • Puis-je savoir qui vous êtes et ce que vous faites à errer ainsi sur mes terres ?

  Stupéfaite, Méline trouva sa manière de parler plutôt singulière et tout à fait déplaisante.

  • Excusez-moi ! J’ignorais que je me trouvais sur une propriété privée. Je me suis perdue pendant l’orage. Si vous m’indiquez comment me rendre au village le plus proche, je m’en irai immédiatement.

  Cette courte explication parut le satisfaire. Il hocha la tête et lança un regard agacé à ses compagnons qui montrèrent à Méline la bonne direction d’un geste rapide de la main. Sans autre commentaire, les trois hommes talonnèrent les chevaux qui bondirent dans une explosion de sabots.

  Incrédule, la jeune femme les regarda s’éloigner. Quelque chose la tracassait. Ce n’est que lorsqu’ils furent à bonne distance qu’elle réalisa que de longues épées battaient leurs flancs.

  Méline reprit sa route sous la pluie battante en ruminant cet étonnant épisode. Tournait-on un film dans la région ? Y avait-il une troupe qui participait à un jeu de rôles ? Ce genre d’activités n’avait jamais eu lieu dans les environs et elle n’avait pas entendu parler d’un tel évènement.

  Perdue dans ses pensées, elle continua sa marche avec Titus qui ne la quittait plus. Il avait eu sa dose de frayeurs et ne se sentait plus de partir à l’aventure. Méline arriva avec soulagement à l’orée de la forêt,  mais stoppa net en découvrant le décor au-delà des arbres.

  Devant elle se dressaient des cabanes de bois et de torchis, plusieurs maisons en pierre d’aspect rustique et quelques étables rudimentaires. Les toits étaient recouverts de bardeaux et de la fumée sortait paresseusement des cheminées. Il n’y avait pas âme qui vive à l’extérieur.

  Un chemin boueux traversait le hameau. Méline s’approcha prudemment des habitations en compagnie de son chien, seuls quelques cochons dans leur enclos grognèrent sur leur passage. Elle se trouva un petit coin au sec près d’une grange, le temps de remettre de l’ordre dans ses idées. D’un tempérament rationnel, elle tenta d’analyser la situation en dépit de l’angoisse qui la gagnait.

  Tout avait commencé par cette étrange anomalie, puis ces bourdonnements insistants et cette sensation de flottement. Ensuite étaient venus ces cavaliers d’un autre temps, et maintenant elle découvrait ce village primitif.

  Une idée flotta à la lisière de son esprit qu’elle repoussa aussitôt.

  Elle observait un filet d’eau s’écouler à ses pieds quand l’averse cessa enfin. Quelques gouttes froides lui tombèrent sur la tête, la ramenant à l’instant présent. Il fallait vite prendre une décision, les habitants commençaient à sortir pour vaquer à leurs occupations. Tout près de là, deux hommes discutaient avec le plus grand naturel au sujet d’une jeune fille jetée la veille au cachot du château pour avoir agressé l’aubergiste et de la peine qu’elle encourait.

  Méline qui écoutait cette conversation totalement irréelle sentit son malaise augmenter.

  Elle se tapit plus profondément dans son recoin puis chercha autour d’elle quelque chose qui pourrait lui être utile. Apercevant de vieux vêtements accrochés près du porche de la grange, elle se coula jusque-là et s’en empara. Contrôlant que personne ne l’avait vue, elle s’introduisit furtivement dans l’étable avec Titus dont la présence sema un vent de panique parmi les chèvres qui se trouvaient à l’intérieur. L’agitation des animaux risquait d’attirer l’attention et Méline jeta un coup d’œil par une fente du mur sans rien remarquer de suspect. Le chien s’était couché alors que les chèvres entassées dans le fond bêlaient en guettant le moindre mouvement des intrus. Elles finirent par se calmer.

  Les guenilles qu’elle avait dérobées sentaient très mauvais, et Méline les enfila par-dessus ses propres vêtements avec une moue de dégoût. Ensuite elle entreprit de se maculer le visage avec de la boue et se décoiffa conscienseument. Ainsi transformée, elle espérait passer inaperçue tant qu’elle n’aurait pas éclairci  la situation.

  Quelqu’un s’approchait. La jeune femme se précipita à l’arrière de l’étable pour se cacher derrière un tas de foin. Elle traîna Titus qu’elle serra contre elle en lui tenant fermement le museau. Mécontent, il se débattit et gémit avec tant de vigueur que Méline dut se résoudre à le lâcher. Elle réussit tout de même à le calmer et c’est le cœur battant la chamade qu’elle vit un garçon d’une douzaine d’années ouvrir en grand la porte, laissant pénétrer un flot de lumière. Vêtu pauvrement, il était crasseux et allait pieds nus. Muni d’une baguette de noisetier, il s’avança vers les chèvres en leur parlant avec entrain. Il les fit sortir puis referma la grange sans un regard en arrière.

  Soulagée, Méline prit le temps de détailler l’endroit où elle se trouvait. Les murs en planches grossières, les cordes de chanvre enroulées dans un coin, les outils rudimentaires entreposés près de l’entrée, tous ces détails lui paraissaient anormaux. Elle se sentait au bord de la panique. Il fallait qu’elle retourne à cette anomalie où tout avait commencé.

  Entrouvrant le battant de bois, la jeune femme vérifia que la voie était libre. Elle entendait parler non loin de là mais n’apercevant personne, elle se faufila au-dehors et se hâta vers la forêt. Titus la suivait de près. Sous le couvert des arbres, Méline se retourna pour s’assurer qu’on ne les avait pas vus. Rassurée, elle se détendit puis emprunta le sentier qui l’avait conduite jusqu’ici. Titus trottait devant elle, la truffe au sol. Méline espérait qu’il les ramènerait sur leurs pas, mais cela semblait peu probable. Encore détrempée par l’humidité, la terre dégageait une riche odeur d’humus. Les bois touffus étaient un véritable dédale alors que les arbres, tous semblables aux yeux de Méline, ne permettaient pas de se repérer aisément. La jeune femme fouillait du regard les environs et cherchait à retrouver leurs propres traces dans la boue, en vain. Après un certain temps, ils arrivèrent à une croisée qu’elle ne reconnut pas. Elle s’arrêta, désemparée, avant de continuer en prenant la voie de droite.

 

  Les nuages s’étaient peu à peu dissipés et avaient laissé la place à un soleil crépusculaire. Le jour commençait à baisser, rendant les bois menaçants.

  Le relief du terrain devenait de plus en plus abrupt et Méline avançait péniblement. Le bruit d’un cours d’eau en contrebas lui fit penser qu’il s’agissait de la Sarine. Les pentes raides et escarpées étaient typiques des abords de cette rivière qui avait creusé de profondes gorges dans la molasse, la pierre tendre et friable de la région. Méline s’était vraiment beaucoup éloignée de chez elle, mais au moins elle avait un point de repère fiable et pourrait suivre les berges jusqu’à un secteur reconnaissable.

   Tenaillée par la faim, elle pressa le pas et Titus s’élança, ravit de pouvoir s’ébattre dans l’eau. Méline déboucha sur une vaste clairière au fond de laquelle serpentait la rivière, assez large mais peu profonde. Des bâtiments en pierre d’aspect massif étaient nichés dans l’un de ses méandres. En s’approchant, Méline crut reconnaître les lieux mais elle doutait de ce qu’elle voyait. Quand subitement elle réalisa où elle se trouvait, elle en eu le souffle coupé.

  Il s’agissait de l’Abbaye d’Hauterive.

  Ce site connu de la région était souvent visité et ses infrastructures étaient parfaitement identifiables, seulement là, le mur d’enceinte et de nombreuses constructions manquaient à l’appel.

  Méline lança un regard circulaire sur les environs puis observa attentivement les bâtiments. Elle était certaine de ne pas se tromper. Étudiante en histoire, elle avait eu l’occasion de visiter cette abbaye et connaissait les lieux. Elle savait que la construction des différents édifices s’était étalée sur une longue période. Or, devant elle, se dressaient uniquement l’église et le cloître entourés de bâtisses dont l’allure n’avait rien à voir à ce qu’elle connaissait. L’église, dépourvue de clocher, et ses bâtiments abbatiaux étaient entièrement construits en pierre de tuf, matériau utilisé avant l’édification des annexes en molasse, qui constituera la matière première de la quasi-totalité de l’ensemble.

  Il n’y avait qu’une seule explication à ce qu’elle apercevait, totalement inconcevable.

  Elle avait été projetée dans le passé, en plein douzième siècle !

 

Extrait du "Passage des Temps Anciens, Les Forteresses du Gué", de Anne Maillard

Le Passage des Temps Anciens

La cité du lac

Chapitre 1

   Méline était en route pour rejoindre Arnaud sur son dernier chantier.

  Le temps de cette journée d’automne s’annonçait magnifique et elle avait décidé d’en profiter. Comme elle devait se rendre au château médiéval d’Avenches pour son travail de thèse, elle passerait voir son compagnon qui y effectuait des fouilles. La ville abritait un important site romain et Arnaud avait entrepris la mise à jour de vestige dans une zone encore peu explorée.

  La jeune femme songea avec plaisir à sa surprise car elle ne l’avait pas prévenu de sa venue. Après avoir garé sa voiture le long de la route, elle se rendit à pied sur le lieu de l’excavation situé un peu plus loin dans les champs. Elle repéra la bâche de plastique blanc posée sur des arceaux qui protégeait l'endroit des intempéries. Cette dernière semaine avait été inhabituellement chaude pour la saison. Toutefois au petit matin la fraîcheur automnale s’était installée et des filets de brume s’accrochaient encore au relief. Le soleil se chargea de les dissiper tout en réchauffant l’atmosphère.

  Arnaud était entièrement absorbé par sa tâche et il ne remarqua pas Méline qui s’était approchée discrètement. La jeune femme observa le petit groupe d’archéologues penchés sur le vaste espace dégagé puis contempla les boucles brunes de son compagnon avec tendresse. Cela faisait deux ans maintenant qu’ils s’étaient rencontrés et son amour pour lui n’avait fait que de grandir alors que leur intérêt commun pour le passé les rapprochait toujours plus.

  D’un raclement de gorge, elle attira son attention, provoquant du même coup l’arrêt immédiat des activités. Embarrassée, elle salua tout le monde d’un petit signe de la main.

  • Bonjour à tous. Ne vous dérangez pas pour moi, je ne fais que passer…

  Après un bref salut, toutes les têtes se baissèrent à nouveau et Arnaud, tout sourire, la rejoignit sur le rebord du fossé. Ils se saluèrent d’un léger baiser.

  • Que me vaut l’honneur de ta visite ? Et où est Titus, tu ne l’as pas pris avec toi ? dit-il en cherchant des yeux le labrador noir de Méline.

  • J’ai pensé venir te trouver avant d’aller au château où je devais passer pour mes recherches, par conséquent je ne pouvais pas le prendre. Je voulais voir sur quoi tu travaillais, ajouta-t-elle en jetant un regard curieux dans le trou béant.

  • Il s’agit probablement des fondations de plusieurs maisons. Comme nous sommes à la périphérie de la ville, il peut aussi s’agir d’ateliers d’artisans, seulement il est trop tôt pour affirmer quoi que ce soit.

  Méline scruta intensément les vielles pierres qui dépassaient à peine du sol avant d’abandonner. Impossible de discerner grand-chose pour le moment. Elle se tourna vers la monumentale porte de l’est qu’elle apercevait sur les hauteurs. L’imposant portique formé de quatre arcades avait été en partie reconstruit ainsi que l’une des nombreuses tours jalonnant la longue muraille qui ceignait la ville antique.

  Un baiser sur sa joue la tira de sa rêverie.

  • Je dois y retourner, dit Arnaud. On peut se retrouver là-haut pour manger tout à l’heure si tu veux, dit-il en désignant le monument qu’elle contemplait.

  • Avec ce temps superbe, ce sera parfait, approuva-t-elle avec entrain. Alors à plus tard.

  Le soleil était haut dans le ciel lorsqu’elle ressortit du château, satisfaite de ses trouvailles. Son travail de fin d’études sur les liens entre les différentes cités médiévales des XIIème et XIIIème siècles dans le canton de Fribourg avançait bien et ses connaissances sur cette époque s’étaient nettement enrichies. Elle avait bon espoir de découvrir bientôt des renseignements au sujet de ses amis rencontrés lors de son bond dans le passé, en plein Moyen-Âge. Jusqu’à présent ses recherches s’étaient avérées infructueuses, néanmoins elle n’abandonnait pas l’idée de trouver des indices sur les existences de son aïeule Emeline et de son frère Roland ainsi que du chevalier Guillaume de Gruyères et de toute autre personne qu’elle avait croisé à cette époque. Quant au reste, elle n’espérait plus comprendre comment un évènement aussi improbable avait pu se produire.

  Méline fit quelques pas et son regard s’attarda sur la magnifique arène de l’amphithéâtre romain situé à flanc de colline, au cœur de la ville, nimbé d’une belle et douce lumière. Comme le temps était clément, elle choisit de se rendre à pied à son rendez-vous sur les hauteurs face à la ville. Elle y retrouva Arnaud qui l’y attendait déjà.

  Les jeunes gens profitèrent de leur pause, goûtant pleinement le plaisir d'être ensemble. L’archéologue lui raconta comment la cité romaine s'était développée, l'importance de sa situation géographique et l'édification des différents monuments de la cité qui s'était échelonnée tout au long des deux premiers siècles après Jésus-Christ.

  Absorbés par leur conversation, ils ne réalisèrent pas que le vent s'était levé ; dans son sillage de lourds nuages menaçaient. Arnaud prit brusquement conscience de la météo qui se dégradait et se releva avec précipitation.

  • Je dois me dépêcher de rejoindre les autres. On se verra ce soir. Fais bien attention pour ton retour, l’orage qui s'annonce risque d'être violent.

  • Très bien, à ce soir, répondit-elle en levant les yeux vers l’horizon assombri. Je n'aime pas ça, il ne me semblait pourtant pas que l'on ait annoncé…

  Ses paroles se perdirent dans le vide, Arnaud était déjà parti.

  Le ciel s'obscurcissait rapidement. Des éclairs silencieux zébraient la couverture nuageuse qui avait pris une vilaine teinte violacée. C’est alors que Méline réalisa que ses habituels acouphènes avaient pris de l'ampleur. Son estomac se noua tandis qu’une excitation mêlée d’espoir la gagnait. Cette ambiance tumultueuse lui rappelait des souvenirs encore vifs dans son esprit.

  Tout indiquait qu’un passage identique à celui qui l’avait propulsée dans cette époque lointaine se trouvait tut près. Elle regarda autour d’elle, espérant apercevoir l’étrange phénomène. Obnubilée par l’idée de revoir ses amis perdus, elle oublia toute prudence et se lança à la recherche du passage mystérieux.

  Il l’appelait, elle en était persuadée.

  La jeune femme s’éloigna en se concentrant sur ses sifflements d’oreilles qui, tels un sonar, lui indiquaient où s’orienter. Elle changea de direction à plusieurs reprises, descendit la légère pente et finit par s’éloigner des remparts. Les bourrasques de plus en plus violentes balayaient ses cheveux et soufflaient bruyamment à ses oreilles sans que cela l’empêche de suivre le signal qu’elle seule entendait. Marchant à travers champs, elle arriva dans un creux de terrain où elle remarqua un filet d’eau sourdre du sol et former un ru qui coulait vers le lac en contrebas.

  Elle devina plus qu’elle ne vit l’altération de l’air au-dessus de la butte herbeuse au-dessus de la petite source. Méline s’arrêta net. Indifférente au vent qui la chahutait et aux lueurs fulgurantes qui illuminaient les cieux,  elle contempla avec émoi ce qu’elle recherchait depuis si longtemps.  Elle avait tant rêvé de cet instant. Or, maintenant qu’elle y était, elle ne savait plus que faire. La jeune femme brûlait d’y retourner, cependant l’inquiétude que sa disparition provoquerait chez ses proches la retenait. De plus, elle était parfaitement consciente que s’aventurer là-bas sans savoir comment en revenir était des plus hasardeux.

  Elle n’y tint plus. Elle s’avança avec précaution et tendit doucement la main vers la surface ondulante. Encore un pas, puis deux, et elle franchit le passage invisible.

  Les tremblements et les nausées la submergèrent si fort qu’elle dut s’agenouiller. Après s’être ressaisie, la jeune femme releva la tête pour observer les environs. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir une cité romaine en lieu et place du bourg médiéval auquel elle s’attendait. Dépitée, elle voulut faire demi-tour mais une curiosité dévorante l’empêcha de repartir aussitôt.

  Émerveillée, Méline admira la ville antique qui s’étendait dans la plaine, au pied de la colline. Puis un doute l’assaillit. Quelque chose la chiffonnait dans ce qu’elle avait sous les yeux. Elle réalisa que l’amphithéâtre brillait par son absence et qu’elle voyait distinctement les maisons de briques alors que les remparts auraient dû lui masquer la vue. Son regard balaya les environs pour constater que l’enceinte de la ville n’était pas encore bâtie. Elle finit par remarquer un vaste chantier et comprit que la muraille était en cours de construction. Tous ces indices, ajoutés à ses quelques connaissances et les explications d’Arnaud lui permirent d’estimer son arrivée dans la deuxième moitié du Ier siècle après Jésus-Christ.

  Continuant ses observations, elle s’aperçut qu’elle distinguait parfaitement le lac dont le niveau était plus élevé qu’à l’époque moderne. Ses rives étaient bien plus proches de la ville. Elle pouvait discerner le port avec son long quai de terre qui s’avançait dans l’eau et quelques bateaux à fond plat amarrés tout près, ballottés par les vagues.

  La tempête gagnait en puissance. Les coups de tonnerre éclataient avec violence. Leurs grondements roulaient avec fracas sur les eaux noires et agitées alors que pas une seule goutte de pluie ne tombait. Méline se décida enfin à quitter les lieux quand des hommes en arme s’emparèrent d’elle sans ménagement en hurlant des paroles inintelligibles.

  Absorbée par la vue extraordinaire, elle n’avait pas pris garde à la patrouille de légionnaires qui s’était approchée.  

  Casqués et cuirassés de plaques de métal, les soldats tenaient d’une main un pilum et de l’autre un bouclier tandis qu’un glaive pendait sur leur flanc. Face à cette femme vêtue de manière étrange, leur chef avait voulu l’interroger mais elle restait sourde à ses appels et semblait vouloir se sauver. Il ordonna à ses hommes de l’arrêter.

  Terrifiée, Méline se laissa emmener sans réagir et tourna la tête pour lancer un regard affolé vers le passage. Elle savait qu’à son retour, son unique chance de repartir ne serait plus là.

Extrait du "Passage des Temps Anciens, La cité du lac", de Anne Maillard

La dernière colonie
 

Chapitre 1

  Il regardait avec accablement l’étendue aride devant lui où les pousses rachitiques perçaient avec peine la terre assoiffée.

  Il songeait avec tristesse à cette époque qu’il n’avait jamais connue où les champs verdoyants étaient parsemés de fleurs et où la vie foisonnait. Maintenant ne restaient plus que poussière et herbes sèches.

  À présent ils payaient le prix de l’inconscience suicidaire des hommes. Quel avenir leur restait-il ?

  Lorsque la paupière s’abattit, une larme dévala la joue recouverte d’un chaume dru.

 

  Amos se retourna et repartit lentement vers le village aux rues d’un calme sinistre, vestige d’une période prospère où les habitations se répandaient comme un cancer. Ne subsistaient désormais que de petites communautés qui tentaient de maintenir un semblant de cohésion sociale.

  Il rejoignit la maison un peu à l’écart où il vivait avec Jian et Tomin, deux adolescents batailleurs, et la petite Elia, une enfant gaie et affectueuse. Ils formaient une famille particulière. Malgré son âge, pas encore trente ans, Amos s’était occupé de ces orphelins qu’il avait recueilli sans la moindre hésitation. Il avait perdu très tôt ses parents et il ne pouvait se résoudre à laisser ces enfants livrés à eux-mêmes.

  Pour eux, il était plus comme un grand frère. Il avait tout juste quinze ans lorsqu’il avait prix son aile Jian, cinq ans. Deux ans plus tard, Tomin, six ans, était venu traîner autour de leur maison et il n’était plus reparti. L’année suivante, ils trouvèrent un bébé sur le pas de leur porte et Elia devint leur petite protégée. C’était il y a neuf ans et depuis, plus aucun enfant n’était arrivé.

  Dans ce monde empoisonné, les hommes étaient devenus peu à peu stériles et la fécondité en avait beaucoup souffert. Malgré cela, la plupart des orphelins devraient se débrouiller tout seul. Héritage d’une société devenue égoïste, personne n’était prêt à nourrir les enfants des autres avec des ressources aussi limitées. Parfois, certaines communautés leur fournissaient de quoi subsister mais les temps étaient durs et cela devenait de plus en plus rare.

 

  Amos trouva les garçons en pleine conversation. Dès qu’ils l’aperçurent, ils s’interrompirent et Tomin l’apostropha avec excitation.

  • Amos ! On traînait avec Malo et on est tombé sur un vieux rucher. Il nous a dit qu’il appartenait à sa famille du temps où il y avait encore des abeilles et il nous a raconté une histoire incroyable. Il semblerait qu’il existe encore des abeilles quelque part ! Une colonie cachée qui aurait survécu à l’extinction. Tu réalises si on en avait ici ? On n’aurait plus besoin de polliniser nous même les fleurs. On pourrait faire pousser d’énormes quantités de fruits et de légumes.

  • Oui, c’est vrai ! ajouta Jian. Malo nous a dit que les abeilles produisaient un nectar délicieux. Il nous a aussi expliqué comment fonctionnait une ruche et que ce sont les reines qui pondent les œufs. Il nous suffit d’en ramener quelques-unes pour créer de nouvelles colonies. On a en a discuté ensemble avec Tomin. On veut retrouver cette colonie.

  Amos secoua la tête d’agacement. Jian était toujours prêt à se lancer dans une équipée sans réfléchir aux conséquences. À chaque fois, il se retrouvait dans des situations inextricables, voire dangereuses, et Amos ne comptait plus le nombre de fois où il avait dû le tirer d’affaire.

  • J’ai déjà entendu parler de cette légende. Il n’y a aucune preuve que cette colonie existe. Cela se saurait depuis le temps. Il s’agit d’un mythe, rien de plus.

  Le visage de Tomin afficha une immense déception alors que Jian le fixait d’un air buté.

  • Tu es comme tous les autres, s’exclama ce dernier. Ils ne croient plus en rien. Ils se plaignent sans cesse mais sont résignés et ne tentent plus rien pour essayer de trouver des solutions. Moi je veux partir et retrouver ces abeilles.

  • Ne veux-tu rien comprendre ? s’irrita Amos. Cela fait près d’une centaine d’années qu’elles sont toutes mortes. Il n’y a aucune chance qu’une seule d’entre elles ait survécu.

  Une petite voix d’éleva derrière eux. Ils se tournèrent pour voir Elia sortir de la pénombre de l’entrée.

  • Moi je veux aller chercher les abeilles pour qu’il y ait de nouveau plein de fleurs dans les champs. En plus, il parait qu’elles sont très jolies, avec des poils sur tout le corps.

  Amos poussa un soupir. Il allait répliquer mais elle ne le laissa pas parler.

  • Tu as toujours dit que l’on devait agir au lieu de gémir. Nous on veut agir.

  • De toute façon rien ne nous retient ici, ajouta Tomin. Les gens nous tolèrent mais ils se moquent bien que nous partions.

  • Mais non, tempéra Amos. Ils sont toujours contents de vous avoir quand ils ont besoin d’aide. Vous êtes forts et utiles.

  • Oui, grogna Jian. On est seulement bon pour les travaux pénibles. Pour le reste, on nous méprise.

  • Vous ne réalisez pas comme c’est dangereux, voulut les résonner Amos. Le monde est vaste et les combustibles manquent partout. Les transports sont hors de prix.

  • Nous irons à pied, lança Jian.

  • Les gens n’aiment pas les étrangers, ils seront hostiles.

  • Si nous leur expliquons ce que nous recherchons, répliqua Tomin, ils seront accueillants et bienveillants.

  • Vous ne voulez pas comprendre…

  • S’il te plait Amos, laisse-nous trouver les abeilles, supplia Elia en lui enlaçant le cou. Nous voulons faire quelque chose pour que notre vie soit meilleure. Et après, tous ces gens qui nous ignorent nous aimerons enfin.

  Amos la serra contre son cœur. Il comprenait si bien ce besoin de reconnaissance et d’amour dont il avait lui aussi cruellement manqué. Leur idée était totalement folle et vouée à l’échec. Il ne croyait pas une seconde à l’existence de cette colonie fantôme. Seulement ils avaient besoin d’espoir. Cet espoir qui l’abandonnait chaque jour un peu plus.

  • Je vais réfléchir. Mais avant cela, je vais questionner les parents de Malo afin d’en savoir plus sur cette mystérieuse colonie.

Aubin et Tea le reçurent avec réserve. Lorsqu’Amos leur parla du but de sa visite, la méfiance se peignit sur leurs visages et ils jetèrent des regards sévères à leur fils qui les lorgna d’un air penaud.

  • J’ai juste raconté à Jian et Tomin la légende de la colonie cachée, dit-il en haussant les épaules. On était près du rucher, je ne pensais pas à mal…

  • Je voulais avoir votre avis. Pensez-vous que cela soit possible ? demanda Amos. J’ignore tout des abeilles, et Jian et Tomin se sont mis en tête de retrouver cette colonie.

  Après bien des hésitations, Aubin consulta son épouse du regard qui hocha doucement la tête. Ils le laissèrent entrer et l’invitèrent à s’assoir à la table de la cuisine.

  • Je veux bien te raconter ce que je sais mais tu dois promettre de ne rien répéter, dit Aubin.

  Puis il commença son récit.

  • Le grand-père de mon grand-père et leurs ancêtres avant eux ont toujours travaillés avec les abeilles. Ils avaient de nombreuses ruches et produisaient un miel excellent. Ils le faisaient avant tout par amour des abeilles. Cette passion s’est transmise de génération en génération sans jamais faiblir. Seulement au siècle passé, certains se sont mis à les exploiter de manière intensive. Puis les abeilles ont commencé à mourir par colonies entières. Il y eu plusieurs explications, notamment les ravages causés par un parasite virulent ou les pesticides, dont une variété particulièrement dévastatrice. D’autres facteurs environnementaux ont également été mis en cause mais jamais on ne trouva de réelles preuves quant à l’origine de l’hécatombe. Après une agonie médiatisée, largement minimisée par les fabricants de pesticides, les cris d’alarmes des spécialistes ne suffirent pas à enrayer le désastre. Les abeilles et quantité d’insectes pollinisateurs disparurent. Les quelques espèces survivantes ne suffirent plus à assurer la reproduction de nombreuses plantes et il y eu de moins en moins de végétaux pollinisés. Vous en connaissez les conséquences ! Les ressources alimentaires s’effondrèrent et des famines dévastèrent les populations humaines et animales. À l’époque, des chercheurs ont tenté de créer de nouvelles races d’abeilles capables de résister à ce terrible fléau. Ils installèrent des ruches expérimentales sur une île afin d’échapper à ce qui décimait les abeilles partout ailleurs, mais également pour éviter que des hybrides ne se répandent accidentellement et provoquent de graves nuisances comme l’avaient fait les abeilles africanisées à l’époque. C’était l’ultime espoir de trouver une parade à ce désastre mais le monde était en plein bouleversement, subissant catastrophes après catastrophes. Cet endroit isolé fut oublié et on n’en entendit plus jamais parler.

  Aubin se tut et Amos resta songeur. Toute cette histoire semblait crédible, cependant cela remontait à tellement loin dans le passé. Si un tel lieu avait réellement existé, il ne devait plus rien en rester.

  Il leur fit part de ses doutes.

  • Je suis d’accord avec toi, approuva Aubin. Selon moi, cela n’a rien donné de concluant et ils ont abandonné. Depuis tout ce temps, il n’y a plus aucune trace de tout ceci.

  • Rien ne prouve le contraire, rétorqua Tea qui avait gardé le silence jusque-là. Nous ignorons ce qui leur est arrivé. Tout est possible. J’ai toujours gardé espoir qu’un jour un miracle se produise, que des abeilles aient survécu dans un endroit reculé et protégé. Je dois bien être la seule…

  Elle jeta un regard en coin à son époux.

  • Tu te nourris de rêves et d’illusions, rétorqua Aubin avec humeur. Leur tentative était désespérée, il était déjà trop tard. Les abeilles ont disparu et il y a longtemps que ce lieu n’existe plus.

  Tea secoua la tête d’un air déterminé avant de fixer intensément Amos.

  • S’il existe encore des abeilles quelque part sur cette terre, ce serait merveilleux de les voir à nouveau voler partout et ramener la vie dans nos champs et nos forêts.

  • De toute manière, la plupart des plantes à fleurs se sont éteintes, répliqua son mari avec exaspération. Il y a celle que nous avons réussi à préserver par bouturage ou marcottage mais comment veux-tu ramener les espèces disparues ? Par magie ?

  • Les semences…

  • Il n’y en a plus, la coupa-t-il abruptement. Cesse tes sottises. Tu fourres tes idées saugrenues dans le crâne de notre fils et maintenant il les raconte à tout le monde.

  Il se leva d’un mouvement brusque qui fit tomber sa chaise en arrière.

  • Je t’ai tout révélé ce que je savais, dit-il à l’attention d’Amos. Le sujet est clos, je n’en parlerai plus. À présent je te laisse, j’ai du travail. Bonne journée.

  Il quitta la pièce à grands pas. Tea le regarda sortir avec agacement puis reporta son attention sur son visiteur.

  • Excuse-le. Il n’a pas toujours été comme ça. La vie est dure, elle lui a fait perdre ses illusions. Pas à moi ! Je pense que la nature a toujours su trouver des parades. Je suis persuadée que quelque part, cette colonie existe mais personne ne s’est donné la peine de la chercher. Si tu as le courage de partir, tu trouveras de l’aide auprès de gens comme nous, les descendants d’apiculteurs. Beaucoup connaissent cette légende et certains y croient. Peu en parlent, de peur d’attirer la colère de gens désabusés ou désespérés. La plupart sont hostiles à tout changement mais il y en aura toujours pour espérer. À ceux-là tu donneras une raison de croire en un avenir meilleur et ils te soutiendront. Persévère et soit prudent. En ramenant ces merveilleuses créatures, tu donneras une chance à notre monde de se reconstruire.

  Bouleversée, elle le fixait, les yeux remplis de larmes. Derrière elle, Malo avait écouté en silence. Il fit un pas pour poser une main apaisante sur l’épaule de sa mère.

  • Si vous partez, je vous accompagne, lança-t-il d’un air décidé.

  Tea baissa la tête mais ne protesta pas. Elle plaça sa main sur celle de son fils. Le jeune homme le regardait avec une telle de confiance qu’Amos ne sut que dire. En venant ici, il avait espéré trouver des arguments à opposer à ce projet absurde. Au contraire, il venait d’être investi d’une mission qui le dépassait totalement.

Extrait de "La dernière colonie ", de Anne Maillard

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