Sybelle
- anne
- 3 mars 2023
- 10 min de lecture
Elle balayait, astiquait, frottait, lessivait avec tant d’ardeur que la crasse rendait grâce. Brosses et balais, chiffons et panosses étaient ses armes de destruction massive. Pas un grain de poussière ne lui échappait. Les miroirs brillaient de mille feux alors que les vitres étaient d’une pureté cristalline. Les sols, désencombrés, retrouvaient leur lustre.
Menue et délicate, Sybelle débordait d’énergie. Un véritable tourbillon qui déplaçait tout sur son passage. Elle ne ménageait pas sa peine pour rendre chaque endroit propre et lumineux, chaleureux et accueillant. Un délicieux parfum embaumait toutes les pièces. Sybelle était un véritable rayon de soleil et tout le monde l’appréciait. Les enfants en particulier adoraient ses clins d’œil complices et ses petites farces irrésistibles qu’elle ne manquait jamais de distribuer. De plus, son allure avait tout pour leur plaire : robes colorées d’où débordaient des jupons froufroutant, chaussettes mal assorties, écharpes bigarrées, foulards bariolés qui tentaient de domestiquer ses cheveux rebelles, sans compter les mille trésors qui gonflaient ses poches. Elle distribuait tant et plus exquises friandises et douceurs savoureuses.
Un jour, Sybelle était agenouillée devant la cheminée, le corps penché à l’intérieur, brossant avec vigueur les cendres qui faisaient de la résistance. Les jumeaux Lucette et Lucien ne cessaient de la harceler de questions. Toute à sa mission, elle ne comprenait pas ce qu’ils lui disaient et elle recula maladroitement pour sortir de ce puit de saleté. Le fichu qui retenait ses boucles glissa et découvrit ses oreilles, jusque-là toujours bien cachées. Sybelle se dépêcha de remettre l’étoffe en place, mais les enfants eurent le temps de les apercevoir. Lucette et Lucien échangèrent un regard ahuri. Les oreilles de Sybelle avaient une forme tout à fait étrange : elles étaient pointues ! Alors que Sybelle posait les yeux sur eux, les enfants remarquèrent qu’ils étaient d’une couleur intense et bizarre. Plus que bleu, ils étaient violets ! Soudain, la sympathique Sybelle prenait un aspect bien mystérieux, à la fois excitant et inquiétant.
La petite femme s’épousseta tout en leur demandant de répéter ce qu’ils venaient de dire, mais ils ne pipèrent plus un mot, figés par la stupéfaction. Le regard améthyste passa de l’un à l’autre d’un air interrogateur. Lucette finit par donner un coup de coude à son frère qui réitéra sa remarque sur les cheminées qui ressemblaient à d’énormes bouches qui pouvaient vous engloutir. Il lui demanda si elle n’avait pas peur d’y entrer pour les nettoyer. Amusée, Sybelle éclata de rire en secouant la tête. Elle affirma que jamais une cheminée n’aurait envie de l’avaler car elle n’était certainement pas à leur goût et que, surtout, elle était terriblement indigeste. Quiconque se risquerait à la dévorer serait tellement malade qu’il la vomirait aussitôt. De plus, qui voudrait encore récurer les cheminées si elles croquaient tous ceux qui s’approchaient d’elles ? Il n’y avait par conséquent aucun danger. Après avoir tranquillisé les enfants, Sybelle retourna à sa tâche, les laissant à leurs réflexions.
Lucette et Lucien se mirent à murmurer comme des conspirateurs, lançant des coups d’œil à Sybelle pour s’assurer qu’elle ne les écoutait pas. Assurément, elle devait cacher un secret. D’où venait-elle ? Qui était-elle ? Ils voulaient en savoir plus. Lucien eut une idée : ils allaient la suivre pour découvrir quels mystères elle dissimulait.
Une fois sa tâche accomplie et que la maison toute entière fut pimpante et rutilante, Sybelle déposa un baiser sur le nez des enfants qui eurent bien de la peine à cacher leur malaise. Dès qu’elle fut partie, ils se mirent à la suivre en se cachant derrière un muret, puis derrière un buisson, puis au coin d’une maison. L’après-midi était ensoleillée et les feuilles d’automne tapissant le sol craquaient sous leurs pas. Difficile de passer inaperçu. Ils y parvinrent en redoublant de prudence, mais surtout, Sybelle, qui chantonnait, était loin devant. À la sortie du village, elle emprunta le sentier qui menait au Bois des Fées, une petite forêt qui couvrait la colline et descendait jusqu’à l’étang du Pied du Mont, dit aussi la Gouille aux Tritons. Un ruisseau suivait le chemin, coulant paisiblement dans un gargouillis joyeux.
Lucette et Lucien étaient bien ennuyés, il leur était interdit d’aller seuls dans la forêt. La curiosité fut la plus forte quand ils virent Sybelle disparaître parmi les arbres. Ils se mirent à courir pour ne pas la perdre de vue quand elle bifurqua à droite, juste après un gros chêne, et s’enfonça dans le sous-bois. À partir de là, les enfants remarquèrent que les rayons du soleil traversaient les branches dénudées et que la lumière donnait à l’air une netteté surnaturelle. L’ambiance devenait peu à peu étrange. La forêt qui semblait redevenue sauvage chuchotait et babillait allègrement au passage de Sybelle. Là où portaient ses pas, la pénombre s’en allait.
Lucette attrapa la main de son frère pour se donner du courage. Sybelle semblait s’être beaucoup éloignée, rapetissant de plus en plus, mais les enfants réalisèrent que sa taille s’était réellement réduite. À présent, elle n’était pas plus grande qu’une libellule. La similitude ne s’arrêtait pas là car des ailes apparurent dans son dos. Effrayés, les enfants ne savaient plus que faire. S’enfuir ou rester ? Tout ceci était très bizarre et en même temps si extraordinaire. Rien de malfaisant ne semblait les menacer, ce qui les décida à continuer.
Sybelle s’envola, compliquant considérablement leur filature. Par chance, elle rejoignit le ruisseau et le suivit jusqu’à un méandre qui s’élargissait pour former une petite mare paisible. Sybelle la survola pour gagner la rive opposée sur laquelle se trouvaient une multitude de champignons blottis au creux de vieilles souches, formant comme un village miniature. L’endroit était situé dans une clairière incroyable où tout était recouvert de mousse et qui était bordée de fougères semblables à des plumes géantes et délicates. Les eaux cristallines étaient si limpides que l’on apercevait le fond entièrement tapissé de plantes aquatiques d’un vert lumineux. Tout en ce lieu enchanteur n’était que pureté, perfection.
Au moment où Sybelle atteignit l’autre rive, Lucette et Lucien eurent l’impression qu’un voile se déchira, révélant l’inimaginable. Des dizaines de créatures semblables à Sybelle voltigeaient au-dessus des champignons, alors que les souches abritaient une population minuscule de créatures merveilleuses. Les enfants comprirent qu’ils voyaient là les habitants bien réels du peuple des contes. Ils ne purent retenir des cris qui semèrent l’émoi parmi tout ce petit monde. Ça courait, ça volait, ça sautillait dans tous les sens.
Alarmée, Sybelle tournoya autour des enfants. Elle s’en voulait pour son manque de vigilance. Pourtant, elle savait combien les enfants étaient curieux, mais surtout, elle connaissait leur capacité de percevoir ce que les adultes ne pouvaient ou ne voulaient pas voir.
Un lutin s’approcha des enfants en trainant un lourd sac sur le sol. Sybelle le rejoignit et une discussion animée s’ensuivit. Le lutin gesticulait, secouait la tête d’un air fort mécontent et tapa du pied quand Sybelle s’envola vers Lucette et Lucien. Absorbés par ce qu’ils voyaient, ils ne lui prêtèrent pas attention. Sybelle voleta devant leur nez jusqu’à ce qu’ils finissent par l’écouter. Il le fallait, sans quoi Tournegalet le lutin leur jetterai dans les yeux sa poudre d’oubliette qui effacerait tous leurs souvenirs de cet endroit.
Le risque était grand, mais elle avait choisi de faire confiance à Lucette et Lucien qu’elle connaissait depuis leur naissance. S’ils lui promettaient de ne rien révéler de ce qu’ils avaient vu, ils pourraient revenir. Sybelle estimait qu’il était temps de recommencer à tisser des liens entre leurs deux peuples afin d’enseigner aux humains comment se connecter avec la nature, apprendre à cohabiter avec les plantes, les animaux, les rivières, les montagnes et toutes les créatures visibles et invisibles.
Persécuté des siècles durant, le petit peuple s’était caché des humains pour qui ils ne furent plus que des personnages de légendes. Les dernières traces de leur existence subsistant parfois dans les noms de lieux tels que ce bois, le bien nommé. Mais à présent la situation devenait intenable. Pour Sybelle, petite fée au grand cœur, l’esprit des enfants était encore pur, leur sensibilité sincère. C’est par eux que le changement arriverait.
Ainsi, la curiosité de Lucette et de Lucien amorça une nouvelle ère. Une ère d’instruction, de collaboration et d’action. Une ère de grand nettoyage !Elle balayait, astiquait, frottait, lessivait avec tant d’ardeur que la crasse rendait grâce. Brosses et balais, chiffons et panosses étaient ses armes de destruction massive. Pas un grain de poussière ne lui échappait. Les miroirs brillaient de mille feux alors que les vitres étaient d’une pureté cristalline. Les sols, désencombrés, retrouvaient leur lustre.
Menue et délicate, Sybelle débordait d’énergie. Un véritable tourbillon qui déplaçait tout sur son passage. Elle ne ménageait pas sa peine pour rendre chaque endroit propre et lumineux, chaleureux et accueillant. Un délicieux parfum embaumait toutes les pièces. Sybelle était un véritable rayon de soleil et tout le monde l’appréciait. Les enfants en particulier adoraient ses clins d’œil complices et ses petites farces irrésistibles qu’elle ne manquait jamais de distribuer. De plus, son allure avait tout pour leur plaire : robes colorées d’où débordaient des jupons froufroutant, chaussettes mal assorties, écharpes bigarrées, foulards bariolés qui tentaient de domestiquer ses cheveux rebelles, sans compter les mille trésors qui gonflaient ses poches. Elle distribuait tant et plus exquises friandises et douceurs savoureuses.
Un jour, Sybelle était agenouillée devant la cheminée, le corps penché à l’intérieur, brossant avec vigueur les cendres qui faisaient de la résistance. Les jumeaux Lucette et Lucien ne cessaient de la harceler de questions. Toute à sa mission, elle ne comprenait pas ce qu’ils lui disaient et elle recula maladroitement pour sortir de ce puit de saleté. Le fichu qui retenait ses boucles glissa et découvrit ses oreilles, jusque-là toujours bien cachées. Sybelle se dépêcha de remettre l’étoffe en place, mais les enfants eurent le temps de les apercevoir. Lucette et Lucien échangèrent un regard ahuri. Les oreilles de Sybelle avaient une forme tout à fait étrange : elles étaient pointues ! Alors que Sybelle posait les yeux sur eux, les enfants remarquèrent qu’ils étaient d’une couleur intense et bizarre. Plus que bleu, ils étaient violets ! Soudain, la sympathique Sybelle prenait un aspect bien mystérieux, à la fois excitant et inquiétant.
La petite femme s’épousseta tout en leur demandant de répéter ce qu’ils venaient de dire, mais ils ne pipèrent plus un mot, figés par la stupéfaction. Le regard améthyste passa de l’un à l’autre d’un air interrogateur. Lucette finit par donner un coup de coude à son frère qui réitéra sa remarque sur les cheminées qui ressemblaient à d’énormes bouches qui pouvaient vous engloutir. Il lui demanda si elle n’avait pas peur d’y entrer pour les nettoyer. Amusée, Sybelle éclata de rire en secouant la tête. Elle affirma que jamais une cheminée n’aurait envie de l’avaler car elle n’était certainement pas à leur goût et que, surtout, elle était terriblement indigeste. Quiconque se risquerait à la dévorer serait tellement malade qu’il la vomirait aussitôt. De plus, qui voudrait encore récurer les cheminées si elles croquaient tous ceux qui s’approchaient d’elles ? Il n’y avait par conséquent aucun danger. Après avoir tranquillisé les enfants, Sybelle retourna à sa tâche, les laissant à leurs réflexions.
Lucette et Lucien se mirent à murmurer comme des conspirateurs, lançant des coups d’œil à Sybelle pour s’assurer qu’elle ne les écoutait pas. Assurément, elle devait cacher un secret. D’où venait-elle ? Qui était-elle ? Ils voulaient en savoir plus. Lucien eut une idée : ils allaient la suivre pour découvrir quels mystères elle dissimulait.
Une fois sa tâche accomplie et que la maison toute entière fut pimpante et rutilante, Sybelle déposa un baiser sur le nez des enfants qui eurent bien de la peine à cacher leur malaise. Dès qu’elle fut partie, ils se mirent à la suivre en se cachant derrière un muret, puis derrière un buisson, puis au coin d’une maison. L’après-midi était ensoleillée et les feuilles d’automne tapissant le sol craquaient sous leurs pas. Difficile de passer inaperçu. Ils y parvinrent en redoublant de prudence, mais surtout, Sybelle, qui chantonnait, était loin devant. À la sortie du village, elle emprunta le sentier qui menait au Bois des Fées, une petite forêt qui couvrait la colline et descendait jusqu’à l’étang du Pied du Mont, dit aussi la Gouille aux Tritons. Un ruisseau suivait le chemin, coulant paisiblement dans un gargouillis joyeux.
Lucette et Lucien étaient bien ennuyés, il leur était interdit d’aller seuls dans la forêt. La curiosité fut la plus forte quand ils virent Sybelle disparaître parmi les arbres. Ils se mirent à courir pour ne pas la perdre de vue quand elle bifurqua à droite, juste après un gros chêne, et s’enfonça dans le sous-bois. À partir de là, les enfants remarquèrent que les rayons du soleil traversaient les branches dénudées et que la lumière donnait à l’air une netteté surnaturelle. L’ambiance devenait peu à peu étrange. La forêt qui semblait redevenue sauvage chuchotait et babillait allègrement au passage de Sybelle. Là où portaient ses pas, la pénombre s’en allait.
Lucette attrapa la main de son frère pour se donner du courage. Sybelle semblait s’être beaucoup éloignée, rapetissant de plus en plus, mais les enfants réalisèrent que sa taille s’était réellement réduite. À présent, elle n’était pas plus grande qu’une libellule. La similitude ne s’arrêtait pas là car des ailes apparurent dans son dos. Effrayés, les enfants ne savaient plus que faire. S’enfuir ou rester ? Tout ceci était très bizarre et en même temps si extraordinaire. Rien de malfaisant ne semblait les menacer, ce qui les décida à continuer.
Sybelle s’envola, compliquant considérablement leur filature. Par chance, elle rejoignit le ruisseau et le suivit jusqu’à un méandre qui s’élargissait pour former une petite mare paisible. Sybelle la survola pour gagner la rive opposée sur laquelle se trouvaient une multitude de champignons blottis au creux de vieilles souches, formant comme un village miniature. L’endroit était situé dans une clairière incroyable où tout était recouvert de mousse et qui était bordée de fougères semblables à des plumes géantes et délicates. Les eaux cristallines étaient si limpides que l’on apercevait le fond entièrement tapissé de plantes aquatiques d’un vert lumineux. Tout en ce lieu enchanteur n’était que pureté, perfection.
Au moment où Sybelle atteignit l’autre rive, Lucette et Lucien eurent l’impression qu’un voile se déchira, révélant l’inimaginable. Des dizaines de créatures semblables à Sybelle voltigeaient au-dessus des champignons, alors que les souches abritaient une population minuscule de créatures merveilleuses. Les enfants comprirent qu’ils voyaient là les habitants bien réels du peuple des contes. Ils ne purent retenir des cris qui semèrent l’émoi parmi tout ce petit monde. Ça courait, ça volait, ça sautillait dans tous les sens.
Alarmée, Sybelle tournoya autour des enfants. Elle s’en voulait pour son manque de vigilance. Pourtant, elle savait combien les enfants étaient curieux, mais surtout, elle connaissait leur capacité de percevoir ce que les adultes ne pouvaient ou ne voulaient pas voir.
Un lutin s’approcha des enfants en trainant un lourd sac sur le sol. Sybelle le rejoignit et une discussion animée s’ensuivit. Le lutin gesticulait, secouait la tête d’un air fort mécontent et tapa du pied quand Sybelle s’envola vers Lucette et Lucien. Absorbés par ce qu’ils voyaient, ils ne lui prêtèrent pas attention. Sybelle voleta devant leur nez jusqu’à ce qu’ils finissent par l’écouter. Il le fallait, sans quoi Tournegalet le lutin leur jetterai dans les yeux sa poudre d’oubliette qui effacerait tous leurs souvenirs de cet endroit.
Le risque était grand, mais elle avait choisi de faire confiance à Lucette et Lucien qu’elle connaissait depuis leur naissance. S’ils lui promettaient de ne rien révéler de ce qu’ils avaient vu, ils pourraient revenir. Sybelle estimait qu’il était temps de recommencer à tisser des liens entre leurs deux peuples afin d’enseigner aux humains comment se connecter avec la nature, apprendre à cohabiter avec les plantes, les animaux, les rivières, les montagnes et toutes les créatures visibles et invisibles.
Persécuté des siècles durant, le petit peuple s’était caché des humains pour qui ils ne furent plus que des personnages de légendes. Les dernières traces de leur existence subsistant parfois dans les noms de lieux tels que ce bois, le bien nommé. Mais à présent la situation devenait intenable. Pour Sybelle, petite fée au grand cœur, l’esprit des enfants était encore pur, leur sensibilité sincère. C’est par eux que le changement arriverait. Ainsi, la curiosité de Lucette et de Lucien amorça une nouvelle ère. Une ère d’instruction, de collaboration et d’action. Une ère de grand nettoyage !
Anne, le 22 janvier 2023
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