Rencontre improbable
- anne
- 26 juin 2021
- 3 min de lecture
« Toi je t’aimais ! Dès que je t’ai vu, j’ai su que je devais prendre soin de toi. Je t’aimais déjà d’un amour inconditionnel. Perdu, seul au creux de cette immense dune de sable. Rond, lisse, doux. Ta peau laiteuse mouchetée d’une constellation de taches était irrésistible. Tu m’as tout de suite séduite et réveillé mon instinct. Moi qui avais tellement de tendresse à distribuer, je me suis sentie investie d’une mission. M’occuper de toi, réchauffer ton cœur, te couver d’amour. J’allais t’aider à te révéler, à sortir de ta coquille jusqu’à te pousser à prendre ton essor et survoler les difficultés de la vie. Je t’ai installé un petit nid douillet où nous serions bien tous les deux, à l’abri des regards pour éviter les convoitises. Je te protégeais sous son mon aile pour que personne ne te ravisse à mon amour. Cela faisait si longtemps que j’en rêvais. Je voyais les autres partager ces moments de bonheur qui m’étaient refusés. Maintenant c’était à mon tour. Je t’observais d’un œil attendri, toi si parfait, si unique, et je me suis sentie comblée, je me suis sentie complète.
Toi je t’aimais, et je t’ai couvert d’un duvet d’amour. »
« J’ai détesté quand tu as décidé de me prendre sous ton aile ! Moi j’étais bien tranquille, tout seul là-haut sur la dune. J’avais enfin réussi à quitter cette fichue plage où on se marchait dessus tant nous étions nombreux. Aucune intimité. La mer venait sans arrêt nous déranger, parfois les vagues engloutissaient les plus imprudents. Pour échapper à ce funeste sort, j’ai dû en fournir des efforts. Rouler, pousser, écraser. Et puis un jour, j’ai rencontré ce petit garçon. Il m’a emmené et je suis parti à l’aventure jusqu’à ce qu’il m’abandonne sur cette dune. Dès lors, j’ai apprécié chaque moment au soleil. Je me suis réchauffé sans plus jamais être éclaboussé ou malmené. Puis tu es arrivé, toi l’emplumé. Et tu as décidé de me gâcher la vie. Depuis je ne respire plus, je vis dans le noir. Tu m’inspectes sous toutes les coutures. De dos, de face, par en-dessus, par en-dessous. J’étouffe ! Je prie pour que tu te lasses de moi et que tu me redonnes ma liberté perdue. Il y en a tant comme moi. Ne peux-tu pas aller en ennuyer un autre ? Oublie-moi ! En plus tu n’arrêtes pas de jacter, de piailler. Parfois, tu me laisses un instant et je crois que c’est enfin arrivé, mais voilà, tu reviens toujours. Et tu m’écrases, tu m’engloutis sous ton duvet waterproof.
J’ai détesté tout cet amour non partagé. Quelle idée, aussi, de s’emmouracher de quelqu’un comme moi, si froid, au cœur de pierre ? De toute manière, cet amour à sens unique finira bien par te décourager. »
« Maintenant, quand j’y repense, je me dis que j’ai été bien aveugle. Des jours entiers à perdre mon temps pour un amour impossible. Pourtant tout avait si bien commencé. Mais voilà, j’ai été leurrée, dupée, trompée. Je me suis laissé emporter par mon irrépressible envie de fonder une famille. Je ne savais pas si j’étais plus déçue ou plus honteuse. Couver un petit orphelin ne m’aurais pas gênée. Qu’il soit différent de moi, je l’aurais accepté, mais couver un galet…Imaginez ce que j’ai pu ressentir ! C’est une de mes congénères qui, venant voir où en était ma portée, à découvert ma méprise. Comme je ne la croyais pas, elle a picoré mon œuf étrangement incassable jusqu’à ce que le ciel me tombe sur la tête. Alors que l’oiselle s’en allait en gloussant, je regardais incrédule l’objet de mon amour perdu. Quelle cervelle d’oiseau je faisais, une vraie tête de linotte.
Dorénavant j’y regarderai à deux fois avant de me laisser emporter par mes sentiments. C’est bien connu, l’amour rend aveugle. Parfois, on ne voit que ce que l’on veut pour se donner l’illusion du bonheur. Certains prennent des vessies pour des lanternes, moi j’ai pris un galet pour un œuf ! »
Anne, le 28.08.2017
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