Le photographe

Accroupi, le dos rond, il fixe le lointain à travers l’objectif de son appareil photo posé sur un trépied. Silhouette sombre sur fond gris, l’homme est concentré, immobile, protégé de la brume environnante par un simple blouson et un bonnet de laine. Une main posée sur l’appareil, l’autre tenant le déclencheur, il a le geste sûr de celui qui sait ce qu’il fait. L’homme est jeune et athlétique. Enveloppé par le silence, il fige sur la pellicule les eaux planes qu’aucune ride ne plisse, qu’aucune vague ne berce. Lui-même est une image, un reflet, un tableau vivant. Composition d’une pureté saisissante des lignes épurées du ponton de bois suspendu au-dessus du miroir de l’eau et des pieux qui le soutiennent, nature-morte en demi-teintes.

De l’homme, silhouette noire sur dégradé de gris, on n’aperçoit de sa peau que son visage au menton volontaire et ses mains dénudées. L’homme et son outil. Il n’y a que lui et ce ponton qui ne mène nulle-part, dirigeant le regard vers le vide. L’homme patiente, tel une statue, toute son attention tournée vers l’inattendu, le subtil. Autour de lui l’air est dense et léger à la fois. Soudain un bruissement d’aile, fugace, ponctué d’un cliquetis discret. Le souvenir de l’envol est immortalisé. L’homme n’a pas bougé, à peine un cillement de paupière.

Après une éternité, l’homme change de position. Lentement, il réoriente son objectif. L’engourdissement ne semble pas l’affecter, l’humidité n’avoir aucune prise sur lui. Il ne sortira de cet état d’envoûtement que lorsque la lumière aura changé, la magie disparu, et il reprendra l’affût, un autre jour, dans un autre lieu qui racontera une autre histoire.

Chasseur d’image dont on ne saura que des bribes, il laissera derrière lui une impression de mystère.

Anne, le 26.08.2019