Petit bourriquot

Je suis un petit âne, bourriquot poilu, bourru, têtu. Petit mais avec de la personnalité. De grandes oreilles effrontées pour dire mes humeurs, un museau tout doux protégé par de redoutable dents. Je ne me laisse pas approcher par n’importe qui ! Dans ma famille, tant se sont fait asservir que vous ne m’y prendrez pas. Je tiens à mon indépendance. Certains pensent m’amadouer avec une pomme ou quelques douceurs, mais une ruade et les voilà remis à leur place.

La compagnie des chèvres espiègles ou des paisibles vaches me conviens, en revanche ne me parlez pas des chevaux, ces cousins arrogants que l’on prétend nobles. Je les dédaigne autant qu’ils me méprisent ! Pour eux je suis un nabot stupide, bruyant et puant. En voilà des idées arrêtées ! Devinez qui est le plus futé ?

Ils se laissent monter, dompter. Ils se laissent harnacher, brider. Alors que moi, essayez donc de me mâter… Me soumettre, être réduit en esclavage, bête de somme, animal de bât, porter le joug ; vous n’êtes pas fou ?! Je me suffis à moi-même et l’on m’aime tel quel. Je ne perdrai pas mon âme à porter la croix d’un autre. Mon héritage m’a appris le prix à payer. Je ne crois plus en rien !

Je suis un bourriquot, intrépide, obstiné, concentré d’indépendance et de ténacité. J’avance dans la vie d’un pas décidé, le sabot sûr et l’oreille attentive. Parfois des joies inattendues parsèment mon chemin. Une prairie de trèfles tendres, des rencontres joyeuses comme ces moutons et leurs gardiens, deux chiens fougueux, un mulet affable et un vieux berger décalé. Un brin de conversation, quelques échanges de politesse et je continue ma route.

Avec cette idée, tout au fond de mon esprit : je ne crois plus en rien. Une fois ancrée, elle ne m’a jamais quitté. Alors j’avance, pour explorer, observer, découvrir, pour un jour y croire à nouveau. Trouver les indices qui me révèlent un monde meilleur où les ânes ne sont plus opprimés et les chevaux, insoumis, retrouvent leur véritable noblesse. Je ne crois plus en rien mais je garde espoir. L’espoir insensé d’un stupide bourriquot qui a compris l’essentiel. Inutile de braire pour ne rien dire !

Anne, le 30 novembre 2020