Le poulpe et la tortue
- anne
- 13 juin 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 juil. 2024
Il était un petit poulpe. Mini pieuvre aux bras ventouses, huit longs doigts tentacules à la sensibilité démultipliée. Si timide qu’il en était transparent, livide, aussi clair que l’eau de mer autour de lui.
Voguant au gré des vagues, porté par les flots, emmené par les eaux, il croisait d’inoffensifs poissons-perroquets ou de redoutables requins-marteaux. Le modeste octopus nageait furtivement d’un rocher à une anémone, d’une éponge à un massif de coraux, se cachant dans un trou de sable, coiffé d’une coquille vidée de son ancien locataire.
De sa cachette, petit poulpe remarqua un bébé tortue qui battait l’eau de ses longues nageoires, ballotté par les vagues et qui tentait d’échapper à un oiseau plongeur en s’éloignant de la surface. Péniblement, il ramait vers les profondeurs mais, trop léger, il flottait comme une noix de coco et à chaque fois remontait vers le danger.
Le petit poulpe eu pitié de la tortue. Il se propulsa à sa rencontre, l’agrippa de ses ventouses et l’entraina dans l’épaisse forêt d’algues en crachant un jet d’encre pour aveugler l’éventuel prédateur. Un bien petit jet, mais qui faisait sa fierté.
Une fois à l’abri, les deux minuscules se dévisagèrent.
D’abord effrayée, la tortue comprit sa méprise et remercia son sauveur d’un signe de tête. Tous deux destinés à vivre seuls, ils ignoraient comment communiquer. Si différents, si dissemblables, ils ne parlaient pas le même langage. Au bout d’un moment, la tortue remonta à la surface, au grand désarroi du poulpe. Mais elle redescendit le rejoindre, un chapelet de bulles dans son sillage. Ainsi, elle respirait de cet air, mortel pour lui ! Il remua ses tentacules et rosit de plaisir de la voir revenir vers lui. La tortue se posa sur le fond sableux, au milieu des hautes algues, bien décidée à comprendre celui qui lui avait permis d’échapper au bec assassin. Cet étrange créature n’avait rien d’un poisson, encore moins d’un reptile. Quel contraste saisissant entre son corps mou, déformable, insaisissable et sa propre carapace, ses écailles et sa solide rigidité. Les bras élastiques avaient commencé à la toucher gentiment avec leurs ventouses, la palpant de la tête à la queue, sans oublier ses nageoires. Quelle curieuse sensation pour celle qui n’avait jamais connu que le contact de la coquille de son œuf, des grains de sables et de la fraicheur de l’eau. Les baisers adhésifs cessèrent enfin. La peau de son nouvel ami changea à nouveau pour se marbrer et se fondre parmi les ombres et lumières de leur cachette. Formidable camouflage qui ressemblait beaucoup aux dessins des plaques de sa cuirasse.
Petit poulpe décida de lui révéler les trésors de son territoire, de lui présenter les poissons fréquentables et lui indiquer les individus envers qui il fallait montrer la plus grande prudence. Les deux jeunes amis apprirent à se connaître, à se comprendre. Ils jouèrent à se cacher, à se poursuivre, à taquiner les habitants du récifs. Mais plus le temps passait, plus petite tortue sentait l’appel du grand large. Ses nageoires minces mais puissantes l’entraînaient toujours plus loin, loin des eaux claires des hauts-fonds, loin de la sécurité foisonnante de vie de l’atoll, vers les vastes étendues où circulaient les courants marins, ces autoroutes océaniques menant aux confins du monde. Au fond d’elle, elle savait qu’elle devait s’en aller.
Un jour, petit poulpe la vit suivre un amas d’algues flottantes, maigre protection autour de laquelle une micro communauté avait élu domicile. Elle se retourna et lui fit un dernier signe de la nageoire. Petit poulpe était dévasté. Il ne voulait pas perdre son amie, pas jouer à cache-cache avec les rochers ni poursuivre un fantôme. Fini les bains de bulles qui lui chatouillaient les tentacules, plus de visites chez les poissons- nettoyeurs. Sans réfléchir, il se propulsa vers les voyageurs sur le départ, emportés par les vagues. Avec l’énergie du désespoir, il se projeta en avant, encore et encore. Il finit par se saisir d’une brindille à la traîne et colla ses ventouses sur la carapace de son amie. Pas question de la perdre à jamais. Petite tortue bulla de joie. Le quitter avait été un déchirement. Et lui avait choisi de la suivre. Ainsi, ils partaient ensemble ! Ensemble, ils n’étaient ni égarés, ni insignifiants. Solidaires et non solitaires, découvrir à deux le monde et ses merveilles, le monde et ses dangers, s’était doubler son bonheur, unir son destin.
Anne, le 23.05.2024
Comments