La traversée du calendrier

Un calendrier avec douze mois, chacun avec des cases pour chaque jour. Et dans chaque coin, un chiffre pour les différencier. Et à chaque mois, son illustration, sa fenêtre sur tout un univers merveilleux. C’est ainsi qu’une nuit, alors que rien ne la distinguait d’une autre nuit, que quelque chose s’anima dans l’image d’octobre. Un bucolique paysage d’automne, avec feuilles mortes, marrons et courges rebondies, habité par un petit fantôme, une araignée velue et une sorcière pas plus haute que trois pommes. Le fantôme cligna des yeux et l’araignée étira ses pattes, pendant que la sorcière se penchait hors du cadre.

- Par les poils de mon balai ! Je me demande ce qu’il y a par-là ? dit-elle à voix haute.

Et ni une ni deux, l’araignée se suspendit à son fil et se laissa glisser le long des cases numérotées. Celles-ci étaient parfois agrémentées du dessin d’une chauve-souris ou d’une marmite fumante. Le fantôme s’envola, se confondant avec la blancheur du papier, alors que la sorcière se balança aux lignes délimitant les cases des jours, avant de sauter du numéro 5 au numéro 13. Elle se prit les pieds dans une toile qui trainait à l’angle du 18, s’entortilla le chapeau dans une autre toile qui pendait au plafond de la case suivante, avant de déraper sur la trace gluante d’une limace baveuse.

Arrivés en bas, les trois amis regardèrent autour d’eux, un peu déçus.

- À part la chauve-souris qui nous a suivis, il n’y a personne à qui parler, se plaignit la sorcière.

Soudain, la page se mit à gondoler, puis à se soulever par à-coups de plus en plus violents. L’araignée se glissa sous la feuille, et aussitôt des criés effrayés s’élevèrent. Le fantôme s’empara du coin de la page et la souleva pour dévoiler une nouvelle image et toute une famille d’écureuils, agglutinée dans un coin de la case numéro 30. D’un mouvement de sa baguette, la sorcière écarta complètement la feuille de papier.

- Rappelez votre monstre ! s’écria la mère de famille qui avait enfin retrouvé son sang-froid. Quelle idée de s’introduire ainsi chez les gens !

Et de fait, on pouvait voir un nid moelleux aménagé dans le tronc d’un chêne, meublé d’une rangée de petit lits douillettement calfeutrés de paille et de mousse, ainsi que des monticules de noix, noisettes et glands, bien callés jusqu’au plafond.

La sorcière pas plus haute que trois pommes s’offusqua qu’on parle si mal de son amie.

- Elle n’a fait que se faufiler pour voir qui provoquait un tel remue-ménage.

- C’est que nous ne trouvions plus de quoi remplir nos réserves, alors nous avons décidé d’aller en chercher ailleurs.

C’est ainsi que d’un commun accord, ils partirent explorer tous ensemble les autres pages de leur monde limité, entreprenant la traversée du calendrier avec la promesse de nombreuses rencontres et la découverte des autres saisons.

Anne, le 25.10.2021