La luge

Par quel hasard est-ce que je me suis retrouvée dans cette vitrine ? Ce n’est pas ma place ! Plus de neige, plus de froid. Je chauffe, moi, derrière la vitre. Coincée entre une horloge antique, un tricycle désuet et une godasse en terre cuite, je me sens inutile. Bien sûr que mon bois vermoulu et mes fers rouillés ne paient pas de mine, mais j’ai amusé tant de générations d’enfants, pourquoi me remiser ainsi au milieu d’antiquités ?

Trop vieille, plus à la mode, j’ai fait mon temps. La mode, parlons-en ! Les nouvelles luges aux couleurs bigarrées, elles ne durent pas. Au moindre saut, à la première rencontre avec un caillou, elles se fendent et se cassent. Bon, je dois bien avouer que des luges en bois, il en existe encore, plus belles, plus grandes, plus performantes. Moi je ne fais plus le poids. C’est un miracle que je n’aie pas fini au feu. Mon ancien propriétaire m’avait gardée, souvenir de son enfance. À son décès, ses petits-enfants ont débarrassé le grenier et moi et mes compagnons d’infortune avons été dispersés. La vieille malle, après avoir été vernie, a retrouvé le confort d’une chambre à coucher, le mannequin de couture dont la bourre sortait de dizaines de trous a été jeté, tout comme la vaisselle ébréchée et les livres mangés par les souris. Les bassines en fer blanc toutes cabossées ont trouvé une seconde vie dans la décoration et moi j’ai atterri chez cet antiquaire.

C’est sûr, j’ai encore de l’allure et cet attrait désuet des objets patinés par le temps. Avec de la chance, une bonne âme tombera sous mon charme, j’ornerai un coin de salon et l’on me garnira d’une belle plante. Mais il faut je me fasse une raison, de neige et de rires d’enfants, il ne sera plus jamais question. Allez ! Assez de jérémiades ! Je n’ai pas encore été dévorée par les termites, mon existence n’est pas terminée. Il y aura encore longtemps des amoureux des vieilles choses, des objets témoins d’un autre temps. Et grâce à ces nostalgiques, ces incorrigibles romantiques, nous pourrons raconter les histoires passées qui survivent à travers nous.

Anne, le 22.08.2016