Colombine et Le Colonel

Le ciel est clair en ce beau jour de printemps. Colombine, une pigeonne voyageuse, entre en collision avec une cigogne et les deux oiseaux doivent se poser en catastrophe dans un nuage de plumes.

Colombine inspecte sa voilure sous toutes les coutures puis gonfle son cou avant de se tourner vers la cigogne qui la toise de toute sa hauteur, un baluchon suspendu à son long bec.

- Tu ne peux pas faire attention, espèce de grand échalas, s’exclame la pigeonne avec indignation. J’ai un important message à délivrer.

Elle lève sa patte pour montrer le petit papier qui y est attaché.

La cigogne, que tout le monde surnomme Le colonel, écarte ses ailes immenses et fait mine de s’envoler mais Colombine se plante devant lui.

- Dis-donc, tu pourrais t’excuser ! Il y a des règles de circulation à respecter. Tu volais à trop basse altitude. Ici, c’est réservé aux petits porteurs…

Le Colonel dépose son baluchon avec délicatesse, claque du bec avant de pencher son long cou blanc vers l’insupportable grincheuse.

- Ma chère amie. Je suis désolé d’avoir empiété sur votre ligne de vol, mais j’ai également une livraison à effectuer, un paquet d’une grande fragilité. Il pèse plus lourd que votre lettre, raison pour laquelle je volais si bas. À présent, je vous laisse, je n’ai pas de temps à perdre.

Le colonel s’empare de son baluchon alors que Colombine roucoule sous l’affront. Ses missions sont de la plus haute importance et quiconque dit le contraire, l’insulte !

- Que peut-il y avoir de plus important que les lettres que je délivre ? Notre corporation est réputée et j’ai la très nette impression que vous nous faites une concurrence déloyale.

Le colonel repose son paquet, ébouriffe son plumage d’agacement avant de répondre en tentant de garder son flegme.

- Ma chère amie ! Nous ne vous faisons aucune concurrence, nous n’avons pas les mêmes missions. Je suis d’ailleurs surpris que vous n’en ayez jamais entendu parler.

- Quoi ? Comment ça ?

Le paquet se met à gigoter et la cigogne se penche pour lui donner une petite tape.

- Je dois vraiment vous laisser, ma chère amie. Mon colis s’impatiente. S’il s’agite trop au cours du vol, il risque de tomber, ce qui serait vraiment dramatique.

- Quoi ? Mais de quoi parles-tu ? C’est quoi que tu transportes là-dedans ?

Le colonel commence à perdre patience. Il y a urgence. Des bosses apparaissent de tous les côtés du baluchon et le nœud qui le maintien fermé se dénoue.

Colombine fait un bond en arrière, les yeux roulant comme des billes.

- C’est pas possible ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ?

Le colonel entreprend de ramener le petit homme qui a roulé dans l’herbe, puis l’empaquette avec soin, en faisant un solide double nœud.

- La guilde des cigognes est connue pour livrer les bébés, ses escadrilles assurent des livraisons sécurisées. À présent, ma chère amie, je dois absolument emmener cette petite chose turbulente à destination et en parfait état de marche. Je vous laisse à votre courrier. Et la prochaine fois, je vous conseille de regarder devant vous au lieu d’admirer le paysage.

Colombine se tord le cou pour regarder le petit papier enroulé autour de sa patte. Question prestige, il la bat à plate couture. La pigeonne roucoule pour masquer son orgueil blessé tandis que Le colonel prend lourdement son envol en la saluant d’un claquement de bec.

- C’est quand même plus facile à transporter quand on a des pattes comme des échasses et l’envergure d’un avion de ligne, maugrée-t-elle, toute à son offense.

La pigeonne s’envole à son tour, tournoie pour repérer son chemin et s’en va d’un flappement d’ailes sonore.

Anne, le 27 avril 2020