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Alice et le dragon noir

  • Photo du rédacteur: anne
    anne
  • 8 août 2022
  • 11 min de lecture

Alice vivait dans une petite ferme au pied des montagnes vertes, nommées ainsi en raison des forêts épaisses qui les recouvraient. Des arbres centenaires déployaient leur ramure et faisaient étalage de leur splendeur alors que leurs troncs épais étaient pareils à des colonnes inébranlables.

La petite ferme était confortablement installée dans un creux, juste à côté d’un minuscule lac aux eaux limpides. Y cohabitaient pêle-mêle : des poules et des oies, un âne et deux cochons, une famille de chèvres et trois moutons. Un peu à l’écart, sur un large rocher abandonné au bord du rivage, somnolait un gros chat gris.

Alice et tout son petit monde vivait paisiblement, loin de l’agitation des villes et des villages, loin des gens et de leurs esprits étroits.


Un jour, arriva une roulotte tirée par un vieux cheval de trait. L’animal au pelage noir brillant était massif, de l’encolure à la croupe, ses pattes épaisses descendaient jusqu’à ses sabots recouverts de longs poils soyeux. La roulotte, une antiquité aux couleurs passées, bringuebalait en grinçant dans les ornières du chemin.

Alice qui nourrissait sa basse-cour, mit sa main en visière pour observer sa visiteuse. Car elle savait qui venait déranger sa solitude. Il s’agissait d’Anita, son amie, sa seule amie. Celle-ci leva le bras pour la saluer avant de tirer sur les rênes. Brutus stoppa, lorgnant d’un œil sévère la population locale qui manifestait bruyamment sa désapprobation d’un tel dérangement avec force de gloussements, bêlements et grognements.

Alice vint flatter l’encolure du cheval puis se tourna vers Anita qui mettait pied à terre.

- Qu’est-ce qui me vaut ta visite ? demanda-t-elle sans préambule.

- Bonjour à toi ! répondit son amie sans s’offusquer de son abord rugueux. Elle la connaissait depuis si longtemps qu’elle était habituée à ses manières.

- Je passais dans la région et je me suis dit : « Tiens, si j’allais voir comment se porte Alice ! Cela fait des lustres que je ne l’ai vue. »

- Mmmh ! grommela Alice qui offrit une pomme à Brutus avant de le libérer de son harnachement et de le conduire au pré où se trouvait l’âne.

Anita continuait son babillage tout en ouvrant la porte située à l’arrière de sa roulotte et en sortit une besace rebondie.

- Je suis surtout venue te prévenir. Tu vis seule et tu ne prends pas la peine de t’informer des dernières nouvelles. Une rumeur cours dans les villages de la contrée au sujet d’un monstre qui se terrerait dans les grottes noires.

- Les monstres n’existent pas ! répliqua Alice avec mépris. Ceux qui le prétendent sont des ignorants.

- Ce monstre aurait attaqué plusieurs personnes. Il se dit même que sa morsure serait mortelle, sa salive est du poison qui infecte le sang, et que le seul moyen de sauver ses victimes est de couper le membre mordu.

- Des légendes, voilà tout ! s’agaça Alice. D’ailleurs, qui est assez bête pour aller aux grottes noires. Ce ne sont que gouffres sans fonds et boyaux inondés.

- Des ramasseurs de bois et des chasseurs se sont trouvés tout près de là quand ils se sont fait attaquer par un dragon noir. Les chasseurs sont parvenus à le blesser avec leurs mousquets et la bête s’est réfugiée dans les grottes.

Alice arpentait ces montagnes sans n’avoir jamais fait de mauvaises rencontres. Les animaux qui peuplaient ces bois n’avaient rien de monstrueux ou de surnaturel. Les seules créatures qu’il fallait craindre, c’était les humains et leur cruauté.

Anita retira ses chaussures et s’installa sur le rocher que le chat quitta à contrecœur. Elle trempa ses pieds dans l’eau fraiche du lac, bientôt rejointe par Alice.

- Je voulais t’avertir qu’une battue a été organisée, que tu ne sois pas surprise si tu entends des cris et de l’agitation dans les environs.

Alice claqua sa langue d’exaspération.

- Tu sais quand elle est prévue ?

Anita haussa les épaules pour signifier son ignorance puis vit avec inquiétude une lueur s’allumer dans les yeux de son amie.

- C’est une très mauvaise idée, dit-elle en devinant ses pensées. Tu ne devrais pas te mêler de ça !

Généralement, le tempérament affable et raisonnable d’Anita modérait la détermination farouche d’Aline. Mais cette fois, rien n’était en mesure de freiner sa volonté. Un sourire illumina le visage d’Alice.

- Si je peux sauver un animal et en même temps les ridiculiser, je trouve que c’est une excellente idée !

Anita soupira de dépit.

- Je ne suis pas venue te prévenir pour que tu te mettes en danger.

Les deux amies échangèrent un regard et se mirent à rire.

- Tu viens avec moi ? demanda Alice.

Anita s’avoua vaincue.

- Depuis quand je refuserais de participer à une croisade hasardeuse et périlleuse ? Et puis je suis bien curieuse de voir à quoi ressemble ce dragon.

- Parfait ! Alors allons-y ! Nous n’avons pas de temps à perdre !

Alice bondit sur ses pieds et disparut dans la ferme pour en ressortir aussitôt avec un arc et un carquois rempli de flèches qu’elle mis en bandoulière.


Brunes et menues, les deux amies se ressemblaient comme des sœurs. Elles étaient assises sur la large échine de Brutus. Anita à l’avant tenait la bride tandis qu’Alice l’enlaçait des deux bras, son arme lui battant le dos au rythme des pas du cheval. Sous la frondaison ombragée, sa foulée était tranquille et sûre.

- On y est presque ! indiqua Alice en désignant une muraille de pierre qui se dressait un peu plus loin sur leur droite.

Subitement, Brutus leva la tête, coucha ses oreilles et roula des yeux affolés. Alarmée par son comportement, Anita tapota son encolure pour tenter de l’apaiser.

- Cela ne lui ressemble pas. Normalement il garde son calme en toute circonstance.

Alice sauta à terre et scruta le sous-bois environnant. Un silence inhabituel régnait. Les oiseaux s’étaient tu et plus rien ne bougeait. Anita descendit à son tour et tint fermement les rênes du cheval dont les naseaux frémissaient d’effroi.

- Tu aperçois quelque chose ? chuchota-t-elle en lançant des regards inquiets alentours.

Alice lui fit signe de se taire. Un raclement étrange se rapprochait d’elles. Anita sentit ses poils se hérisser. Puis elles entendirent un sifflement suivit d’un grondement sourd.

- On doit s’en aller ! dit Anita dans un filet de voix.

Alice avait encoché une flèche et la pointait en direction des bruits. Pour se rassurer, Anita se plaquait contre le flanc de Brutus qui piaffait nerveusement.

- On doit s’en aller ! insista-t-elle sans succès.

Dans la pénombre du sous-bois, les jeunes femmes virent une ombre s’avancer vers elles. Une créature reptilienne traversa un rayon de lumière qui perçait la voûte feuillue.

- Je le savais ! s’exclama Alice. Ce n’est qu’un animal ! Ni un dragon, ni un monstre !

- On dirait bien un monstre ! protesta Anita en tirant sur la bride pour faire reculer Brutus.

- Ce n’est qu’un lézard, répliqua Alice.

- Un lézard ? riposta Anita avec frayeur. Tu en as déjà vu beaucoup d’un tel format ?

Le ventre au ras du sol, le lézard géant avançait lentement sur ses courtes pattes aux griffes acérées. Son corps luisant d’écaille se tordait de gauche à droite et de droite à gauche, trainant derrière lui une longue queue musculeuse. Sa tête carrée et massive était dotée d’une mâchoire puissante d’où coulait des filets de bave visqueuse. Une langue fourchue goûtait l’air, lui donnant des allures de serpent.

- On doit s’en aller ! répéta Anita prête à tourner les talons.

Alice réfléchissait. Que faisait un tel animal par ici ? Ce n’était pas son habitat naturel. Il n’était pas arrivé là par hasard.

- Il est perdu ! dit-elle à haute voix.

- Et alors ? Tu veux le ramener ? Où donc ? Et de quelle façon tu comptes t’y prendre ? s’irrita Anita qui savait que son amie ne laisserait personne tuer cette bête, qu’elle soit dangereuse, laide et sauvage.

Le lézard leva la tête vers les deux femmes, humant l’air avec sa langue. Perdant son sang-froid, le cheval se cabra en poussant un hennissement rageur et frappa le sol avec ses sabots. Le reptile fit volte-face et se précipita vers la falaise grise.

- Il va aux grottes noires, constata Alice en baissant son arc. Il doit s’y sentir à l’abri.

- Alors qu’il y reste, fit Anita avec soulagement. Nous ne pouvons rien pour lui. Tu as vu sa taille ? Et ses griffes ? Et ses dents ?

- Il perd du sang, dit Alice en se penchant sur des taches sombres qui marbraient les feuilles mortes. Je vais le suivre.

- Pour quoi faire ? Lui servir de repas ? Ce n’est pas une bonne idée, objecta Anita. Cette… chose ne peut que te créer des ennuis. Elle a déjà blessé des gens. Elle est beaucoup trop dangereuse !

Alice avait déjà disparu et Anita leva les yeux au ciel.

- Elle n’en fera jamais qu’à sa tête, marmonna-t-elle à l’intention de Brutus qui posa sa tête dans le creux de son épaule.

Indécise, Anita ne savait que faire : suivre son amie ou l’attendre prudemment loin de ce monstre. Elle en était là de ses réflexions quand un homme immense à la carrure épaisse surgit devant elle, un lasso-cane à la main.

Il s’arrêta net, son regard passant de la jeune femme à la piste sanglante. Interdite, Anita ouvrit la bouche puis la referma. Quand l’homme la fixa à nouveau, elle pointa du doigt la falaise et il partit sans un mot.

- Dépêchez-vous ! cria-t-elle en reprenant le contrôle de sa bouche. Mon amie est là-bas !


Alice gardait ses distances. Elle avait beau aimer les animaux, elle ne tenait pas pour autant leur servir de repas, quoi qu’en dise Anita. Le lézard avait disparu dans la grotte, avalé par la gueule béante de la montagne. Alice devait bien admettre que son amie avait raison. Qu’allait-elle pouvoir faire pour aider cette créature ?

C’est alors qu’un froissement derrière elle la fit sursauter. Elle se retourna pour voir apparaître un homme qui devait être aussi grand que Brutus. Il s’arrêta à ses côtés.

- Il est là-dedans ? l’interrogea-t-il d’une voix rocailleuse.

- Qui êtes-vous ? Un chasseur ? répliqua-t-elle avec un froncement de sourcil méfiant.

Il la dévisagea d’un air féroce.

- Il est à moi ! Je viens le récupérer !

- Comment ça, à vous ?

L’homme ferma les yeux d’exaspération puis se tourna vers l’entrée de la caverne.

- Je fais partie du cirque ambulant qui s’est produit dans la région il y a quelques temps. Mon varan s’est échappé et depuis, je suis à sa recherche.

- Et personne n’a été informé ? Il aurait été judicieux de prévenir la population, vous ne croyez pas ?

- Pour que tout le monde parte à sa poursuite et en fasse son trophée ? Hors de question. Nos animaux exotiques excitent un peu trop les superstitions et les amateurs de gloire. Il était préférable de rester discret afin de ne pas provoquer d’affolement.

- Trop tard ! répliqua-t-elle avec amertume. Votre animal de compagnie s’est fait remarquer et des chasseurs sont à ses trousses.

L’homme lâcha un ricanement.

- Je l’aurais ramené avant qu’ils le trouvent.

Alice pensa qu’il était bien prétentieux. S’il était si doué, il l’aurait déjà retrouvé depuis longtemps. Elle observa le lasso-cane et la corde soigneusement enroulée qui pendait à sa ceinture.

- Et vous pensez pouvoir le maîtriser juste avec ça ?

Il lui lança un regard amusé, fit jouer ses muscles sous sa tunique et partit à grandes enjambées vers la grotte. Alice afficha une moue agacée avant de le suivre en pressant le pas.

- Votre varan est blessé. Il risque d’être agressif, fit-elle remarquer en le rattrapant.

- Pas de problème, je sais comment m’y prendre.

Décidément, ce gaillard-là était sacrément sûr de lui. En même temps, elle ne voyait pas de quelle manière capturer un tel animal sans le tuer ou se faire tuer.

- Très bien, fit-elle avec détermination. Que dois-je faire ?

Il secoua la tête négativement.

- Rien du tout ! Je me débrouillerai sans vous. Vous risquez seulement de me gêner.

Alice grimaça. Elle n’allait pas en rester là. Elle n’était pas venue jusqu’ici pour laisser tomber.

- Dites-donc ! Je suis de votre côté. Je n’ai nul désir de m’en prendre à votre varan.

- Avec un arc et des flèches ? Vos intentions sont clairement pacifiques, ironisa-t-il.

- C’est pour me défendre, se justifia-t-elle avec une moue contrariée.

Mais il ne l’écoutait plus. Il s’approchait furtivement de la grotte, s’arrêtant au moindre mouvement suspect, avant de disparaître dans la cavité obscure. Alice se dépêcha de le rattraper et se faufila à sa suite, au grand mécontentement du forain.

Un grattement les figea. Quelque chose se déplaçait dans les ténèbres. Alice se colla à la paroi afin de se fondre dans son ombre. Un grondement sourd leur signala que l’animal était tout près. Le grognement se transforma en sifflement alors que le cliquetis des griffes s’accélérait. Le varan attaquait !

- Reculez ! cria le forain qui avait déployé son lasso-cane.

Il tendit la perche au bout de laquelle était suspendue une large boucle avec laquelle il avait l’intention de se saisir de la tête du varan tout en la maintenant à bonne distance. La corde glissa sur les écailles. L’animal se retourna brutalement dans un claquement de mâchoires mais le forain esquiva l’attaque. Toutefois, gêné dans ses mouvements par la paroi derrière lui, l’homme perdit l’équilibre et tomba lourdement. Le reptile en profita pour se ruer sur lui.

Soudain, une pierre frappa la tête de l’animal, une seconde le toucha au cou tandis qu’une troisième le ratait. Alice s’était mise à hurler pour attirer son attention pendant qu’elle le caillassait.

- Relevez-vous ! Vite !

La jeune femme vit avec horreur le varan se tourner vers elle et la prendre en chasse. Elle voulut le contourner pour l’attirer vers le forain mais le reptile se jeta sur elle. Alice en réchappa d’un bond maladroit. La bête se retourna et fouetta violemment l’air de sa queue. Il frappa les jambes de la jeune femme qui bascula en arrière. Au moment où l’animal allait la mordre, la boucle du lasso-cane passa autour de sa tête et se resserra sur son cou. Le varan se tordit sauvagement pour se débarrasser de cette entrave mais le forain tenait fermement la perche.

Il plaqua le lézard au sol et se coucher sur le long corps prit de convulsions pour l’immobiliser. Alice assistait à la scène surréaliste, totalement paralysée. Elle retrouva ses esprits en voyant le forain chercher sa corde qui était tombée durant le combat et se précipita pour la lui apporter. Elle contourna avec prudence les lutteurs et tendit la corde à bout de bras. Le forain la saisit d’un mouvement sec puis enserra la mâchoire qu’il musela vivement. Ensuite il attacha les pattes, saucissonnant le reptile jusqu’à ce qu’il soit totalement neutralisé.

Fascinée, Alice osa enfin s’approcher. Même ligoté, le lézard dégageait une force brute que la jeune femme n’avait jamais ressentie auparavant. Seule, elle n’aurait pas réussi à lutter contre ces muscles puissants, ces longues griffes meurtrières et ces crocs venimeux et tranchants. La peau épaisse recouverte d’écailles noires, dures et lisses était une véritable cuirasse impénétrable.

Alice aperçu la blessure au niveau de l’épaule.

- Là ! fit-elle remarquer.

- J’ai vu, répondit le forain qui se relevait. Cela l’a affaibli, mais il s’en remettra. C’est coriace ces petites bêtes !

D’un geste, il souleva le varan et le jeta sur ses épaules comme s’il s’agissait d’une simple couverture.

- Les chasseurs n’ont pas fini de battre les bois ! dit-il dans un éclat de rire.

La jeune femme s’amusa de sa réaction. Elle aussi trouvait plaisante l’idée de faire tourner en bourrique tous ces gens prêts à donner la mort pour un oui ou pour un non. Le forain la salua d’un clin d’œil et s’en alla comme il était venu, en rôdeur clandestin.

Alice finit par se demander si tout ceci avait bien été réel.


Elle retrouva Anita et Brutus qui guettaient son retour en trépignant.

- Te voilà enfin ! s’exclama son amie qui lui sauta au cou.

Elle se mit à la palper, inspectant chaque parcelle de son corps, chaque écorchure, pour s’assurer qu’elle se portait bien.

- Rien ne manque ! Tout est en ordre ! soupira-t-elle de soulagement. Je ne vais pas te sermonner, seulement sache que pour rester en bonne santé, les chasses au dragon ne sont pas recommandées !

Alice rit en flattant le doux museau de Brutus qui l’enveloppait de son souffle chaud et rassurant. Le ton moralisateur d’Anita céda la place à la curiosité et l’excitation.

- Que s’est-il passé là-bas ? Tu as rencontré le géant qui pourchassait ce monstre ? Est-ce qu’il t’a parlé ? Tu sais d’où il vient ?

Alice sauta sur Brutus, son arc en travers de son dos, ses flèches sagement rangées dans leur carquois. Elle tendit la main pour aider Anita à grimper.

- Rentrons ! Je te raconterai tout sur le dragon qui n’en était pas un devant un bon repas. Toutes ces émotions m’ont ouvert l’appétit.

Brûlant de la questionner encore, Anita se mordit la langue et prit son mal en patience, se réjouissant d’entendre les aventures d’Alice et du dragon noir.


Anne, le 12 juillet 2020

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