20-L’art et la manière
- anne
- 20 déc. 2024
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Dans des régions froides et reculées où personne n’aurait l’idée de vivre, erre une antique déesse. Nomade, secrète, elle est camouflée par un épais nuage de neige tourbillonnante, des bourrasques glacées tenant éloigné les plus téméraires des curieux.
Un jour, une rumeur portée par les vents colporteurs de nouvelles parvient à ses oreilles. Il se dit que le Bonhomme Hiver est le créateur de merveilles, là-haut dans le Grand Nord.
Elle qui fait naître sans relâche les plus beaux, les plus exquis, les plus originaux des flocons, n’apprécie pas du tout que quelqu’un s’attribue les mérites de son art. Personne n’égale son habileté !
Sa vanité la chatouille, lui murmure de réagir. Tout de même, elle est une divinité. La déesse du froid, de la neige et de la glace. Mais voilà, par le passé elle a chèrement payé son arrogance. De crainte et vénérée, elle est tombée dans l’oubli, exilée loin de toute humanité, remplacée par un personnage si peu respecté qu’on brûle son effigie chaque année pour repousser les frimas de l’hiver. Bien qu’elle ait déjà entendu parler de lui et de ses bonhommes de neige givrés du cerveau, elle a toujours fait en sorte de ne pas croiser sa route. Pourtant, cette fois, sa fierté est la plus forte. Enveloppée dans son manteau immaculé, elle s’en va le défier.
C’est ainsi que le Bonhomme Hiver voit débarquer dans son palais une majestueuse inconnue. Surpris par cette visite tout à fait inhabituelle, il lui trouve un air parfaitement hautain, voire carrément méprisant. Un vrai glaçon !
Ils se défient du regard.
- Qui donc se présente en ma demeure sans y être invité ? finit-il par demander.
Elle observe autour d’elle les sculptures translucides, les décors finement ciselés et le trône de glace d’un œil critique.
- Ta réputation m’a conduite jusqu’ici. Je voulais constater par moi-même les mensonges propagés sur tes créations et leur splendeur supposée.
Le Bonhomme Hiver ne goûte guère l’insinuation malveillante.
- Mes œuvres sont tout ce qu’il y a de plus réussies. Tu te présentes chez moi pour m’insulter, voilà qui est bien téméraire. Tu ignores à qui tu as affaire.
La déesse sourit froidement.
- Toi non plus…
D’un discret geste de la main, elle fait apparaître un léger rideau de neige qui retombe lentement. L’étonnement du Bonhomme Hiver est immense. Jamais jusqu’alors quiconque n’a rivalisé avec ses talents. Il scrute les flocons aux formes uniques et délicates.
- Voilà du bien joli ouvrage ! admet-il. Mais de là à critiquer mon travail… Sache que mes colères sont craintes au-delà des océans.
- Moi je ne crains rien, surtout pas un bouffon folklorique incapable de reconnaître plus compétent que lui.
Cette fois c’en est trop pour le Bonhomme Hiver qui rugit à en fendre la banquise. Son souffle balaie tout sans que la visiteuse n’en soit incommodée. À son tour, elle lève de puissantes bourrasques destructrices. Mais très vite, les bonhommes de neige s’interposent, bien décidés à faire cesser ces chamailleries ridicules.
- Vous ne voyez donc pas que vous êtes fait du même froid et de la même glace ? C’est rare, tellement rare qu’il serait dommage de vous quereller au lieu de partager de bons moments.
Frappés par la justesse de la remarque, la déesse de la neige et le Bonhomme Hiver se dévisagent d’un autre œil. Peut-être que les bonhommes de neige ont raison. Après avoir vécu si longtemps seuls, un ami serait précieux. Et malgré leurs caractères fiers et orageux, pourquoi ne pas accorder leurs savoir-faire, eux qui ont l’art et la manière de transformer la rudesse hivernale en œuvres fabuleuses ?
Anne, le 20.12.2024
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